Posté par G. Ngoyo-Moussavou, le 17 mars 2023
Par Ngoyo Moussavou
La nouvelle est terrible et j’ai du mal à m’en remettre. François Engongah Owono dit Eboué, mon grand ami intime et compagnon de route de 35 ans, devenu avec le temps l’aîné que je n’ai pas eu, s’en est allé le 26 février 2023, terrassé par des complications intestinales aigües, à l’hôpital européen Georges Pompidou de Paris. Ces décès successifs de proches, qui ne cessent de s’enchaîner, sont un terrible drame pour moi.
L’histoire de François Engongah Owono et de moi-même commence un samedi matin du mois de septembre 1988. Journaliste au quotidien national l’Union, j’habite un modeste appartement dans un immeuble appartenant à la société Multipress, rue de l’ancienne Sobraga. Mon épouse, née Chirwisa Luvuga, vient m’annoncer qu’il y a un certain François Engongah qui veut me voir. Mon cœur se met aussitôt à battre la chamade.
Le nom du visiteur matinal, en effet, ne m’est pas inconnu, je sais qu’il travaille au cabinet du Président de la République Omar Bongo, que je l’aperçois de temps en temps dans la bande des jeunes cracks frais émoulus des universités françaises et d’ailleurs, qui entourent M. Ali Bongo, à l’époque Haut Représentent Personnel du chef de l’Etat. La conversation est brève, il me demande d’aller à la Présidence de la République, côté Résidence, où je suis attendu. Attendu par qui ? Mystère et boule de gomme. Je suis attendu c’est tout. Un samedi matin. Je m’exécute la peur au ventre. Pourquoi ?
La visite impromptue d’Eboué a lieu, en effet, au moment où les lampions de la célèbre émission « Les dossiers de la RTG », la dernière de la série, viennent de s’éteindre. Les questions des journalistes ont été, c’est peu dire, très dérangeantes, pour le gouvernement et la classe politique dans son ensemble, bien que le Président de la République Omar Bongo ait laissé faire. Ayant été un acteur de l’émission, les rumeurs les plus folles circulent sur ma personne dont celle faisant état de ce que le Boss, qui n’aurait pas apprécié certaines de mes interventions, en serait fort marri.
Me voilà empruntant la vaste véranda de l’aile droite de la Résidence présidentielle, quand j’aperçois au loin la silhouette de M. Ali venant vers moi. Notre rencontre a lieu pile-poil à la hauteur du célèbre salon marocain, qui cache tant de mystère. Ah si les murs du salon marocain pouvaient parler un jour ! Le temps de me transmettre la bonne nouvelle du Président de la République, qui m’enthousiasme et me rassure à la fois, il prend congé de moi. Ainsi débute le long compagnonnage commencé aux côtés de feu Omar Bongo Ondimba.
Je garde d’Eboué, membre fondateur du Mouvement des Rénovateurs, dont le chef de file s’appelle Ali Bongo, le souvenir de quelqu’un qui a passé sa vie au service de la « cause » et ses mérites ne sauraient être sous-estimés. Dans les années de braises, je veux parler de la décennie 1990, quand le pouvoir du Président Omar Bongo est sérieusement bousculé dans ses fondements, par une opposition politique naissante, prête à tout pour en découdre, que d’aucuns doutent et se réfugient dans la conspiration du silence, alors que d’autres passent avec armes et bagages dans le camp de « l’ennemi », Eboué est un symbole de fidélité et de loyauté. Il est au front en première ligne comme artilleur, non pas dans les lignes arrière où se sont calfeutrés les indécis. Il est aux côtés de feu Omar Bongo Ondimba, il défend, s’oppose, résiste face à une opposition farouche, dont les leaders charismatiques sont le père Paul Mba Abessole, Me Pierre Louis Agondjo Okawé et bien d’autres.
Aussi quand, dans ce bouillonnement politique incertain, je suis reçu un matin dans le bureau de travail du Président Omar Bongo, suite à une audience que j’avais sollicitée, je trouve le Patron, qui me fait patienter, plongé dans la lecture d’une pile de fiches qu’il lit une à une, annote certaines. Il me tend une note qu’il vient de parcourir. Il s’agit d’un BR (bulletin de renseignement), le signataire, un notable d’Oyem connu, dont je tairai le nom ici, accuse Eboué d’être un élément infiltré du Rassemblement national des bûcherons (RNB). Ni plus ni moins. Ma réaction est sans équivoque : « Patron si Eboué est bûcheron, alors je le suis aussi ».
J’ai longtemps gardé cet épisode enfoui en moi, je n'en ai fait état à Eboué qu’un mois avant son ultime évacuation sanitaire en France. J’ai demandé des nouvelles du fameux notable, il m’a répondu qu’il vivait toujours, mais très affaibli par le poids de l’âge et la maladie. Cruel univers politique. Pour quelqu’un comme moi qui ai côtoyé Engongah Owono au quotidien, donc témoin de son dévouement et de sa fidélité à l’égard du Président Omar Bongo, les inepties de ce notable guidé sûrement par la volonté de nuire, avaient quelque chose d’enrageant. Eboué a beaucoup souffert du « mensonge conscient » et des calomnies répétées des siens. Il en avait « soupé » pour employer une expression triviale.
Natif d’un département et d’une province dont les relations avec le pouvoir dirigeant, dans cette décennie 1990, étaient politiquement difficiles, lui, François Engongah Owono, homme aux convictions fortes, n’a jamais voulu adhérer à cette doxa à bas bruit d’un soutien à géométrie variable adopté par les siens à l’égard du PDG et de son Président fondateur. C’était un homme entier, mu par les motivations les plus élevées. Les siens lui-ont-ils fait payer pendant toute sa vie publique de n’avoir pas été politiquement sur la même ligne de flottaison qu’eux ? Cela est fort probable.
Mais je dois à la vérité de dire que cela n’a jamais ébranlé son abnégation, sa droiture, son humilité. Il a continué à faire preuve de loyauté et d’un sens politique élevé, à servir et à défendre avec force et courage les intérêts des chefs d’Etat successifs dont il fut le collaborateur fidèle et dévoué : Omar Bongo Ondimba d’abord, et, ensuite, Ali Bongo Ondimba, qui voit là partir l’un de ses derniers compagnons de la première heure.
Au moment où j’écris ces lignes j’ai une pensée pour son épouse Véronique et tous les enfants Engongah Owono. Je voudrais leur dire que François Engongah Owono est un monument, qu’on le veuille ou non, qui aura marqué le cours de l’histoire du Woleu-Ntem et du Gabon, avec sa manière et sa différence, lors des quatre dernières décennies.
C’est un personnage important de la vie publique nationale qui nous quitte, qui avait conscience de tout ce qui se passait dans le Landerneau politique gabonais, qu’il scrutait sans cesse et connaissait de fond en comble. Excellent analyste, il était capable d’être critique même envers des gens de son propre camp politique, mais toujours ouvert aux compromis qui apaisent. Courtois et attentif, bien que parfois cassant, il savait défendre ses convictions avec ténacité, tout en veillant à ce que le débat politique soit serein, dans le respect mutuel et des engagements des autres. Il était une force positive infiniment précieuse.
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17/03/2023 à 08:03
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